Piloter en environnement incertain est un numéro d’équilibriste.
Ajoutez à cela un brin d’innovation et pour beaucoup prévoir l’activité tient de la gageure.
Et pourtant…
Rétrospective : le monde s’accélère et se complexifie, de l’intérêt des prévisions financières
Depuis 20 ans, l’accélération et la multiplication des canaux de communication et de vente complexifient les modèles de croissance.
Elles invitent le gestionnaire a développer des approches plus agiles pour mesurer et anticiper un train qui prend de l’allure et dont les voies ne sont plus toutes tracées. Mais pour l’entrepreneur elles sont surtout une formidable source d’opportunités parmi lesquelles il faut choisir, ou pour le moins prioriser.
Alors nous avons demandé plus de prévisions, plus de jeux d’hypothèses, de scénarii et transformé la finance moderne en un ensemble d’outils et de process plus souples au service de la décision.
Les sociétés les plus innovantes et les startups rechignent parfois à bâtir un budget devant l’impossibilité de prévoir avec précision, en particulier parce qu’elles ont opté pour des stratégies d’entreprises ou des technologies novatrices qui échappent aux schémas de modélisation traditionnels. Et le Covid-19 donnera un argument de plus à tous ceux qui se disent » à quoi bon » quand il suffit d’un vol de chauve-souris dans le Wuhan pour perturber l’économie mondiale. L’effet papillon dans sa version la plus sombre.
Mais céder à cette tentation, c’est oublier l’intention première des prévisions financières : aider le management à prendre des décisions en environnement complexe et incertain. Comment choisir et décider dans un monde où le champ des possibles est aussi large et quand l’information est devenue un flot continu parcellaire et contradictoire ?
Devrions-nous nous contenter de nos seuls instincts? L’enjeu est trop grand pour céder à la paresse ou au défaitisme.
Devrions-nous demander plus de prévisions encore pour apaiser nos peurs et fantasmer sur les capacités de l' »IA » ? Ce serait oublier qu’il nous revient de préciser la destination à atteindre.
Le motif d’un budget, a fortiori d’un business plan, n’est pas dans son exactitude mais dans son process. On le souhaite le plus précis possible, mais il doit surtout nous pousser à échanger davantage, en transparence, sur les chemins des possibles. Il définit un cap, dans la durée.
La crise sanitaire est un game changer. Les façons de piloter doivent s’infléchir, être plus responsables
Le Covid-19 a déjoué tous les pronostics pour 2020, et probablement davantage. Une illustration parfaite de la théorie du cygne noir de N. N. Taleb. Et oui, toutes nos prévisions sont obsolètes et nécessitent d’être repensées à l’aune de ce tournant.
Alors nous pourrions tous multiplier les prévisions, les jeux d’hypothèses, les scénarii, mais il s’agit surtout de poser les crayons : nous vivons un moment historique.
D’aucun diront que ce n’est qu’une crise de plus. Loin de moi la prétention de savoir si ce virus va changer durablement nos usages et notre capacité à intégrer les questions environnementales dans nos décisions. Un vaccin demain et nos habitudes pourraient reprendre le pas sur les bonnes volontés nées pendant la houle. Toutefois, le rythme des crises économiques s’accélère et laisse à chaque fois plus prégnant le souvenir de leurs séquelles sociales. En toile de fond, les études scientifiques crient l’urgence climatique. Cette pandémie nous oblige à repenser nos responsabilités.
Aussi, faire des prévisions aujourd’hui n’est-il pas tout à fait l’exercice auquel nous sommes habitués, même pour les férus de l’hypercroissance et des marchés émergents.
Cette pandémie nous oblige à repenser nos responsabilités.
Imaginer le monde d’Après a l’échelle de chaque entreprise est l’occasion de penser les garde-fous pour prévenir de nouvelles crises. Le confinement a déjà commencé à dévoiler ses répercussions économiques et sociales à l’échelle mondiale et nous invite à réfléchir à une sortie de crise qui adresse les enjeux sociaux et environnementaux.
Je vous invite notamment à (ré)écouter le cycle de conférences MoHo Talks qui s’attache à souligner depuis le début du confinement l’intérêt de jouer collectif pour sortir positivement des périodes de crise, et ce dans toutes les sphères de la vie – humaine ou animale, publique ou privée. Appliqué aux stratégies d’entreprises et aux modélisations financières, voilà le socle d’hypothèses communs que nous aurions collectivement intérêt à mettre en œuvre :
4 impératifs pour prévoir et piloter durablement :
1. Sauver l’emploi aujourd’hui et pour demain
Le confinement a paralysé l’économie mondiale. En un mois, le taux de chômage à quadruplé aux États-Unis. La chute du cours du baril donne un avant-goût de récession économique et la montée des inégalités commence à faire la une des JT. Alors le réflexe tient souvent en deux mots : repli et protectionnisme. Et en matière RH en un seul : licenciements.
La France a l’avantage de bénéficier d’un système de protection sociale, renforcé pour limiter l’impact du Covid-19, avec notamment l’élargissement de l’indemnisation du chômage partiel jusqu’à 4.5 fois le SMIC : il vise à sauver les emplois. A chaque entreprise d’utiliser son droit à en bénéficier plutot que de céder à la tentation du licenciement. Le maintien dans l’emploi permet de preserver le pouvoir d’achat et la consommation et donc de générer du chiffre d’affaires pour certaines industries susceptibles d’alimenter en commandes différentes chaînes de valeur. Personne ne connaît la longueur du confinement et de la crise, aussi les PSE ne doivent être envisagés que lorsqu’il n’est plus question que d’épargner le plus grand nombre.
Sans tomber dans l’optimisme naïf, c’est le moment de se souvenir de la théorie de Robert K. Merton : méfions-nous de notre entrain à rationaliser nos croyances et surtout n’oublions pas que nous avons notre part de responsabilité dans l’issue de cette crise. Les prophéties autorealisatrices n’attendent que nous.
2. Former les équipes
Se former en temps de chômage partiel est par ailleurs l’opportunité de faire monter ses équipes en compétence pour mieux préparer le monde d’Après. C’est aussi l’opportunité de valoriser un moment de vie éprouvant pour la plupart d’entre nous.
L’essor des entreprises apprenantes et plus récemment le Covid-19 ont permis le développement de contenus et de formats de formation à distance. A titre d’exemple, le Schoolab a digitalisé toutes ses offres, jusqu’à proposer son parcours d’incubation de startups – La Piscine – en full remote grâce à l’utilisation d’outils online garantissant les apprentissages et la qualité de l’experience.
Le temps disponible et le catalogue de formations ne sont plus tant des enjeux. Quant à son financement, c’est une initiative soutenue par l’État à hauteur de 1500€ par personne. Un incontournable.
On ne bâtit pas le monde d’Après avec de bons soldats.
Dernier insight sur ce sujet : le momentum est parfait pour construire sur du soft skill. L’isolement favorise l’introspection, mais surtout l’École nous a peu enseigné comment être créatif ou comment se servir de nos sens (écoute active, techniques d’observation) pour mieux adapter une offre à la dynamique de son marché. Au moment où il nous faut nous réinventer, ou pour le moins optimiser nos chaînes de valeur, le Design Thinking ou de Lean management vous auront peut-être déjà donnés des clés pour repenser votre activité. En parallèle de ses méthodologies de l’innovation, pensez à cultiver les qualités d’intrapreneuriat au sein de vos équipes. On ne bâtit pas le monde d’Après avec de bons soldats.
3. Raisonner en partenaires et bâtir des ecosystemes durables
Les relations clients-fournisseurs sont bien souvent cristallisées autour des questions de marge et de délais de paiement. Pour une majorité d’entreprises, le confinement a contracté les carnets de commande et obéré d’autant les entrées de cash. Mais avant de reporter mécaniquement ces tensions dans un tableau prévisionnel de trésorerie, il faut envisager les enjeux de nos clients et de nos fournisseurs. Se mettre à la place de. Un exercice type de négociation commerciale qui incite à la construction d’une relation basée sur le partage raisonné de la valeur et la compréhension des enjeux de chacun.
La crise sanitaire ne nous affecte pas tous de la même façon : partageons en transparence nos besoins pour gagner du temps et en efficacité. Cette crise est l’occasion de remettre au centre le véritable enjeu d’une relation entre tiers : la notion de partenariat. On dit souvent qu’il n’y a pas de business sans confiance. C’est encore plus vrai aujourd’hui. Comment renégocier son contrat parce qu’il s’est déséquilibré, demander un délai de paiement supplémentaire ou imaginer faire du repeat business sans relation saine et équitable ?
Le paradoxe du confinement aura été de raviver la qualité du lien dans les échanges commerciaux et de rappeler le caractère symbiotique de nos économies.
A cet égard, nous parlons régulièrement d’écosystème pour évoquer le maillage de nos économies et des membres qui la composent. Mais c’est sans nous souvenir de sa définition naturaliste primaire : un écosystème est un » système formé par un environnement (biotope) et par l’ensemble des espèces (biocénose) qui y vivent, s’y nourrissent et s’y reproduisent » (Larousse). Notre environnement et les imperatifs climatiques sont le socle sans lequel nos économies ne tiendront pas durablement. Alors si le confinement nous rappelle l’importance de raisonner en partenaires pour sortir par le haut collectivement de cette crise, le Covid-19 redessine notre environnement et nous signifie qu’il est essentiel d’eviter le court-termisme et de se réinventer en tenant aussi compte de notre biotope, la partie prenante la plus silencieuse de notre écosystème.
4. Innover pour réamorcer la pompe
L’imperatif citoyen de préserver les emplois nécessite des ressources ; former et construire des synergies suppose davantage de definir un cap, de porter une vision. Le tout en contexte mouvant.
La vraie question tient alors dans notre capacité à adresser les besoins de nos clients, en tenant compte des enjeux environnementaux. Ou plutôt notre capacité à adresser notre environnement avec tous les besoins clients qui le composent. L’eveil des consciences realigne ces deux dimensions et ne sont pas nécessairement plus coûteuses.
Lorsqu’en dépit de la crise nous continuons d’adresser les besoins de nos clients, on cherchera d’abord à realiser des économies en repensant nos chaînes de fabrication ou de distribution.
Si la crise sanitaire remet en cause nos marchés, alors l’innovation ne devra pas seulement être orientée sur les procédés.
Dans tous les cas, couper les budgets d’innovation est une erreur de gestion trop classique qui tend à accroître nos dépendances à long terme et à déséquilibrer les relations commerciales. En somme, les facteurs clés de succès d’une prochaine crise économique et sociale.
L’influence croissante de la sphère financière, qu’on la correlle ou non à une intention politique, est allée de pair avec des horizons de décisions courts car nous n’arrivions pas à être justes dans la durée. Mais la difficulté de construire des prévisions financières fiables est un faux problème. Le sujet premier est d’affiner la façon de porter sa vision au monde et de transformer les organisations pour les rendre plus agiles et plus à même de réfléchir face à l’inconnu.
In fine, l’innovation ne doit jamais être le luxe de nos stratégies d’investissements mais une condition sine qua non. Vous cherchez des économies ? Vous n’avez pas besoin de bureaux luxueux : les espaces de coworking vous donneront de la flexibilité, d’autant que le télétravail se démocratise et répond à l’engorgement des transports et à l’explosion de la pollution. Mais coupez vos budgets d’innovation à cause de la crise et vous créerez les conditions de la prochaine. Alors oui, cela impose de penser sur des échelles de temps plus longs, celui de notre environnement, mais c’est précisément ce qui nous donne les perspectives et les alternatives dont on a tous besoin pour piloter par gros temps.